“Le mâle est supérieur par nature et la femelle inférieure… l’un gouverne et l’autre est gouvernée.”
ARISTOTE (384-322 av. È.C)
La distinction entre sexe et genre (gender), telle qu’elle a été élaborée durant les dernières décennies, peut être ainsi définie : ‘Le premier terme fait référence à la nature, aux différences biologiques entre hommes et femmes, mâles et femelles ; le deuxième renvoie à la culture et concerne la classification sociale et culturelle en masculin et féminin. Le genre est en quelque sorte le “sexe social” ou la différence des sexes construite socialement, un ensemble dynamique de pratiques et de représentations, avec des activités et des rôles assignés, des attributs psychologiques, un système de croyances. Le sexe est ainsi perçu comme un invariant, tandis que le genre est variable dans le temps et l’espace, la masculinité ou la féminité – être homme ou femme ou considéré comme tel(le) – n’ayant pas la même signification à toutes les époques et dans toutes les cultures
Dans le cadre de cet appel à communication, il est question du genre et vie privée. Cette dernière perçue comme un droit fondamental de l’être humain. Contrairement à la vie publique, la corrélation entre genre et vie privée n’a pas beaucoup intéressé la recherche scientifique, pourtant c’est une thématique qui concerne, entre autres choses, l’identité de la personne, son corps, sa foi, etc. une thématique, qui de plus a une influence directe sur la vie publique.
Il est évident que les contours de la vie privée ont évolué avec le temps, les objets qu’elle désigne également. Alors que les Anciens étaient obnubilés par la vie de la cité, les Modernes semblent, plutôt beaucoup plus intéressés par la vie privée. En effet, cette tendance moderne qui place la vie privée comme la clé du bonheur des hommes et des femmes, est vue comme une sorte de refuge en marge de la vie publique. Alexis de Tocqueville, Jürgen Habermas, Albert Hirschmann et bien d’autres penseurs se sont intéressés au développement de la sphère privée spécialement pour manifester leur inquiétude de cette tendance au repli sur le privé qui constitue, selon eux une menace pour la vie publique, lieu de reconnaissance sociale régi par des hommes.
Ce papier aura pour objet premier d’étudier les rapports de genre dans la sphère du privé, autrement dit les normes de comportement entre les hommes et les femmes et la place relative que prend la différence des sexes dans les relations entre individus. Il s’agit en effet de comprendre la façon dont les rapports de genre ou les rôles distribués et formulées sur des registres extrêmement différents : que faisaient les femmes dans la vie privée ? Étaient-elles confinées à des travaux domestiques ? Enfermées chez elles? La codification des rôles et exclusion des femmes du champ religieux ? Qu’en disent les Ecritures ? De quoi la différence des sexes était-elle le nom ? En somme quel était le sens de la division hiérarchique des rôles sexuel
Il s’agit aussi de confronter les questions spécifiques à certaine cultures de l’antiquité et de mettre en perspective le rôle et le statut des femmes dans différents milieux sociaux. Saisir les processus des mutations et des transitions qui ont présidé au développement et à la consignation par écrit des corpus officiels : littérature, droit, textes sacrés, etc. nous parait, dans ce cas de figure pertinent. Pour mener à bien ce travail de recherche, l’approche anthropologique juridique et sociale nous parait une méthode efficace dans la mesure où s’est donnée pour objectif premier l’étude de l’humain dans sa diversité, d’une part, et de comprendre les modes de comportements des sociétés, d’autre part, en mettant en exergue l’aspect socio juridique et son milieu culturel global. Aussi, l’intérêt de cette discipline tient du fait qu’elle met en valeur le fonctionnement des coutumes et autres normes par rapport au droit officiel, lesquels représentent un contrepoids et une résistance à un droit essayant d’imposer son code à lui pour mieux contrôler et dominer un espace qui lui résiste avec des codes locaux. Mais, quelque soit la discipline qu’on applique aux textes, elle nous procure des possibilités énormes pour mieux cerner la pensée socio-historique des sociétés anciennes.
Pour rendre le débat plus opportun, il serait pertinent de rappeler schématiquement comment le terme genre fait son apparition dans le domaine de la science ; et de poser la question relative à la filiation entre l’histoire des femmes et l’histoire du genre ( chapitre II) afin de repenser les relations sociales entre les hommes et les femmes en termes de domination et de pouvoir tout en gardant à l’esprit les spécificités des sociétés et leurs rapports respectifs aux individus.
L’histoire des femmes dans l’Antiquité, longtemps occultée ou déformée et ce, jusqu’au début des années soixante, se voie aujourd’hui enrichie avec de nouveaux outils d’analyse, notamment du concept de genre et d’une ouverture sur le monde. Cette évolution, qui s’est appuyée sur des idées issues des sciences sociales, fait surgir de nouveaux sujets d’étude.
Alors que l’histoire des femmes et du genre repose en grande partie sur des a priori historiques et des présupposés liés, d’une part aux textes sacrés et aux conceptions de l’époque contemporaine, de l’autre ; de nouvelles pistes de recherches intègrent le genre comme démarche pour déconstruire les ‘évidences naturelles’ de l’identité sexuée, acceptée comme un fait social.
Aussi, les historiens et autres spécialistes du Proche-Orient ancien abordent souvent leurs textes avec des préjugés basés sur la place des femmes dans le monde classique ou dans les monothéismes. Le choix du vocabulaire relaye ces présupposés. S’est aussi installée l’idée que les femmes sont toujours économiquement dépendantes des hommes. Mais, avec la parution de nombreux ouvrages, tels que l’Histoire mondiale de la femme, La femme dans le Proche-Orient antique et autres textes spécialisés la donne a changé car cela a permis la mise en valeur des contributions des femmes à l’histoire en relevant systématiquement les mentions de femmes dans les sources textuelles. Il s’agissait en effet de distinguer le genre, en tant que construction sociale et culturelle, du sexe, identité biologique, et de comprendre pourquoi les femmes apparaissent souvent dans des positions subalternes par rapport aux hommes et pourquoi elles sont moins présentes qu’eux dans les textes ou l’iconographie.
Même si les inégalités entre femmes et hommes dans l’Antiquité sont considérées comme tolérés et dépendent étroitement de la condition socioéconomique et juridique des femmes, il y a des clichés liés à un imaginaire collectif qui se résument à la beauté d’une déesse, d’une reine ou d’une princesse et non à son rôle en tant que monarque ou en tant que femme tout court.
C’est toi la maîtresse de la terre […] tu as rendu le pouvoir des femmes égal à celui des hommes !’, Grand Hymne à Isis (IIè siècle av. È.C)
La place de la femme dans l’Égypte ancienne est un des traits les plus frappants de l’histoire de l’Antiquité. Elle est d’autant plus surprenante qu’elle était l’égale de l’homme : elle pouvait poursuivre des études, officier dans les temples, hériter, léguer, choisir son époux, divorcer, se remarier, commercer, intenter un procès pour récupérer les biens du ménage et le gagner. Bref, elle jouissait de tous les droits au même titre que l’homme.
Le grand voyageur Hérodote était surpris, voire choqué de l’émancipation des égyptiennes.
Les nombreuses sources égyptiennes attestent de l’accès des femmes aux postes administratifs les plus importants : La première femme médecin connue de l’humanité, la dame Pésèshèt, a exercé dès la IVe dynastie de l’Ancien Empire (2670 à 2450 av.È.C) ; la dame Nébet a occupé le poste de premier ministre au cours de la VIe dynastie ; Merneith, reine de la Ière dynastie ; Nitocris, la première pharaonne de la VIè dynastie , Hatshepsout, pharaonne de la XVIIIe dynastie, etc.
La religion illustre également le statut de la femme : l’équilibre cosmique, la vérité et la justice sont symbolisées par une femme, fille bien-aimée du grand dieu Rê : Maat, qui pèse les âmes des défunts à leur mort. Le culte d’Isis, très populaire en Égypte et ailleurs, a donné la part belle aux femmes étant donné qu’Isis a sauvé l’humanité du désordre commis par Seth.
“Il n’y a que les hommes qui ont été créés directement par les dieux et qui possèdent une âme… mais ceux qui vivent une vie malhonnête peuvent avec raison être supposés avoir été changés en femmes au cours de la seconde génération.”
PLATON (427-347 av. È.C)
À l’inverse des égyptiennes, les grecques et les romaines sont juridiquement considérées comme mineures et soumises à la tutelle masculine, pater familias, au même titre que les enfants. Elles jouissent de peu de privilèges, et ce en fonction de leurs classes sociales. En Grèce, comme à Rome, on distingue différentes classes sociales, à savoir les nobles, la classe des simples citoyens, la plèbe, les métèques et les esclaves. Le statut de la femme n’a de sens que par la naissance ou par le mariage, et son rôle est confiné à donner naissance à des fils légitimes qui puissent hériter des biens paternels. Elle sort peu, sauf pour les cérémonies de la cité, sacrifices, processions et autres participations aux fêtes religieuses. En Grèce, il faut attendre l’époque hellénistique pour voir de grandes figures de femmes émerger dans le monde grec, des reines comme les Bérénice, Arsinoé ou Cléopâtre.
Notons que Sparte fait exception dans le monde grec classique et requiert à la femme certains droits. À Sparte, les filles sont élevées en compagnie des garçons et comme eux, elles entreprennent des études et des exercices sportifs en plein air. Pendant les premiers jeux olympiques les Spartiates concouraient, au même titre que les hommes de leur Cité, mais en ont été exclues sous la pression des autres Cités grecques qui criaient au scandale devant ces ‘montreuses de cuisses’ et qui interdisaient même à leurs citoyennes d’assister aux compétitions sur les gradins ! Après le mariage la Spartiate reste propriétaire de sa dot et se doit de remplir un rôle primordial pour la Cité : s’occuper de la vie économique, de la gestion des biens et sans doute jouer un certain rôle politique pendant que les hommes s’en vont à la guerre. Elle doit également faire de robustes enfants spartiates et futurs combattants. La loi spartiate autorise même (et dans certains cas recommande) l’adultère féminin en raison de l’absence du mari, et ce dans un but de procréation.
À Rome, la situation de la femme, même si elle est sous tutelle, est nettement avantageuse à celle de la femme grecque. En effet, les lois dites d’Auguste affaiblissent la notion de tutelle des hommes sur les femmes, notion juridique qui sera d’ailleurs supprimée pendant l’Empire, au IIe siècle de notre ère. Dès la fin de République et le début de l’Empire, les femmes ont le droit de consentir ou non à un mariage, nuptiae, de divorcer et de récupérer leur dot. Une fois mariée, elle est la gardienne du foyer, dirige la maison et ceux qui y habitent, dirige l’éducation des enfants et d’une manière générale toute l’économie de la famille. Contrairement à l’Athénienne, la Romaine n’est pas cantonnée à l’intérieur de la maison, elle est admise aux banquets et aux fêtes et elle est instruite. Beaucoup sont éduquées, écoutées et participent à la vie mondaine, culturelle et politique. En effet, au IIe siècle avant È.C., les femmes ont manifesté dans les rues afin d’obtenir l’abrogation de la loi d’austérité qui limitait les dépenses de toilette. Au 1er siècle de notre ère, l’écrivain Juvénal voit avec inquiétude les femmes romaines multiplier adultères et divorces et investir des terrains jusque là réservés aux hommes : la littérature et les sports de combat par exemple. On connait quelques exemples de savantes, bien intégrées dans la société impériale romaine, comme Fabiola chirurgien respecté au IVe siècle ou la célèbre Hypatie. Pendant toute l’histoire de Rome, certaines femmes ont également joui d’importants privilèges et honneurs comme les vestales, prêtresses dont le sacerdoce garantissait la survie de Rome.
Si les études de genre semblent bien développées dans les domaines de l’antiquité égyptienne, grecque et romaine, elles sont encore naissantes pour les civilisations mésopotamiennes et arabiques. La place que les sources consacrent aux femmes est d’une importance variable ; pourtant les sources sont abondantes et, de plus, elles mettent en valeur le rôle fondamental des femmes au cœur de la société. Ces sources documentent, de manière très inégale dans l’espace et dans le temps, les différentes communautés qui les ont produites. Il s’agit principalement des Sumériens, jusqu’à la fin du IIIe millénaire, et des Akkadiens à partir de 2600, qui se divisent à partir de 2000, entre les Assyriens dans le nord de la Mésopotamie et les Babyloniens dans le sud.
Dans les inscriptions du IIIe millénaire rédigées à l’initiative du pouvoir, les femmes de la famille royale sont bien représentées : il s’agit par exemple de statues ou d’objets placés dans les temples pour leur vie et celle des membres de leur famille. Parmi ces femmes, les grandes prêtresses, filles de roi, ont laissé des clous et autres inscriptions de fondation.
Tout comme les hommes, les femmes achètent esclaves et biens immobiliers, prêtent ou empruntent de l’argent, mais souvent en quantités moindres ; elles disposent de leurs propres capitaux, indépendants de ceux de leur mari. Certaines archives administratives détaillent donc la gestion de palais et grands domaines, dirigés par des reines et des femmes de l’élite, où travaillent essentiellement des femmes. Ils fonctionnent de manière autonome, en parallèle à ceux des hommes, et leurs productions se concentrent sur l’agriculture et le textile. Les femmes y exercent le même type d’activités économiques que les hommes, mais à une échelle plus petite. Les reines assurent également des responsabilités diplomatiques et religieuses, mais ne sont pas impliquées dans les affaires juridiques ou militaires.
Aussi, dans les nombreux panthéons issus de traditions locales qui coexistent, certaines déesses tiennent des rôles de premier ordre, comme les déesses mères, Inanna/Ištar, déesse de la guerre et de l’amour qui dispose de la liberté des hommes, Gula, déesse de la médecine, Nisaba, déesse de l’écriture, ou Ereškigal, déesse des Enfers..
Un millénaire plus tard, elles perdent progressivement leurs pouvoirs au cours du IIe millénaire, au profit de divinités masculines. Dans les codes de la Mésopotamie ancienne dont la plupart sont fragmentaires, excepté celui de Hammurapi, IIème millénaire (1792-1750), la question du statut de l’homme ou de la femme en tant que telle ne transparaît pas et n’est pas abordée explicitement. Parallèlement, nous pouvons constater une perte d’influence des grandes déesses et une détérioration du statut des femmes, perceptible par exemple dans les lois médio-assyriennes. Celles-ci laissent apparaître l’idée que les femmes auraient un statut inférieur à celui des hommes.
Le code de Hammurapi distingue trois classes sociales : awîlum, terme générique, traduit généralement par ‘homme de condition libre’, désigne le sujet ordinaire du droit. Ce statut comprend à son tour deux types d’hommes libre : celui ayant un rang élevé, le seigneur, et celui ayant un rang inférieur dont la condition est exceptionnelle, et une deuxième catégorie, appelée aššurâiau. L’esclave, quant à lui appartient à un ‘état’ juridique spécifique : il peut être acheté ou vendu, châtié en cas de faute, telles que le vol, la tentative de fuite ou de rébellion. Son affranchissement, par exemple ne peut se concrétiser qu’au moyen d’un acte juridique.
La condition de la femme constitue la difficulté majeure dans les recueils juridiques anciens du monde sémitique du IIème millénaire. En effet, les expressions ‘marat awîli’ et ‘aššat awîli’ dans les textes assyriens, traduites respectivement par ‘fille de l’homme’ et ‘épouse de l’homme’, ne désignent nullement une qualité d’état- civil, mais plutôt un statut social bien défini. La première expression renvoie à la femme de condition libre, quelle soit fille ou épouse, par opposition à la femme esclave, sinništu ; la seconde renvoie à l’épouse d’un homme libre tout court.
Nous pouvons dire que la situation de la femme dans les textes juridiques du Proche Orient ancien s’est peu à peu dégradée et devenue nettement inférieure à celle de l’homme dans la mesure où elle est assujettie à son père ou son époux. Aussi, le système familial patriarcal, instauré donne- t- il à l’homme une autorité assez considérable aussi bien sur sa femme que sur ses descendants, et le droit pénal assyrien autorise le chef de la famille à exercer un droit de correction sur les siens. Le mari possède le droit de répudiation : il n’est pas tenu de verser une indemnité de divorce à son épouse et il peut reprendre les bijoux qu’il lui a offerts. En contre- partie, la femme peut emporter sa dot, širku, mais non son droit au douaire, nudunnu. La fille ne sort de l’autorité du père que par le mariage, mais tombe sous la coupe du beau père : ce dernier peut lui imposer la loi du lévirat, même s’il elle vit chez son père. En effet, le mariage étant censé unir deux familles plutôt que deux individus, tend à assurer une descendance masculine pour la continuité de la lignée.
À l’opposé, la femme nabatéenne semble jouir de ses droits dont le droit de possession et d’héritage, de conclure des contrats commerciaux de vente ou d’achat. À l’époque préislamique, la femme avait certainement la possibilité de posséder des biens et de les gérer selon sa volonté. Ainsi de nombreuses femmes citées dans les sources arabes, dont Ḫadīğa bint Ḫuwaylid, la première épouse du Prophète, étaient en possession de biens fonciers et d’une richesse considérable. Cependant, les sources arabes semblent indiquer un changement dans la composition sociale à cette époque, notamment dans la région du Ḥiğāz. On constate, en effet, que la coutume préislamique a privé les femmes et en a privilégié les hommes qualifiés de guerriers.ʾ
Dans les trois religions monothéismes, le questionnement a pris une toute autre tournure : Les trois religions retracent une histoire singulière à plus d’un titre, celle du monothéisme renforçant le fonctionnement binaire féminin/masculin déjà existant. Les réflexions théologiques qui ont développé une littérature abondantes traduisent, aussi bien la quête identitaire des groupes religieux, que celle des croyants, à travers des choix liés à une histoire religieuse propre à eux. En effet, la création de l’homme à l’image de Dieu, rapportée dans les textes, suppose un lien entre le créateur et sa créature impossible à dissoudre. D’emblée, et depuis les enseignements de Pélage, se pose la question de la liberté, du libre arbitre de l’homme et de la place qui lui revient. En effet, avec les Stoïciens, Pélage affirme que les fautes tout comme les mérites dépendent entièrement de l’homme. Les débats sur ce sujet n’ont jamais cessé depuis, creusant de plus en plus le fossé entre philosophie grecque et théologie.
L’historien se trouve désormais tributaire de ces textes pour comprendre le dessein théologique et dévoiler les significations du langage religieux, véhiculé par les communautés des croyants.
La question du genre, introduite depuis les années 70 comme une grille de lecture qui enrichit l’analyse des les textes monothéistes interroge sur l’existence ou non d’un rôle bien défini pour les femmes et pour les hommes.Le donné biblique repose, à cet effet sur la ‘chute de l’homme’ par la faute de la femme, reprise dans les textes, avec des récits différents et représentée comme la conséquence du péché originel, plonge l’homme dans le mal et la souffrance et crée une rupture dramatique entre lui et son Dieu. Adam et Ève étant les ancêtres biologiques de l’espèce humaine, lèguent leur péché en héritage à leur descendance. La faute, propagée de génération en génération, fait tomber l’homme en disgrâce, le rend faible et mortel, et, par-dessus tout exposé aux séductions de Satan. L’homme se doit donc de combattre ses propres passions par l’observance des commandements divins afin de rétablir une relation privilégiée avec Dieu, en attribuant des rôles bien définis pour chacun. Même constat chez les premiers chrétiens, et le premier d’entre eux, Paul, qui n’admet d’égalité qu’au-delà du monde réel, devant Dieu. Dans la vie quotidienne, réalité concrète, la femme est assujettie à son époux. L’Eglise a longtemps utilisé la parole de l’apôtre pour légitimer la division sexuelle en son sein. Aujourd’hui encore, dans la hiérarchie catholique, les femmes ne sont égales aux hommes que devant Dieu. Chez Augustin, qui éprouve la nécessité de séparer la Cité de Dieu de la cité des hommes, le sujet transcendantal est l’apanage du masculin : « Les réalités temporelles, dans lesquelles sont inscrites les femmes, les éloignent des raisons éternelles, domaine privilégié des hommes.Les trois religions du Livre ont eu longtemps en commun une vision de la femme tentatrice et dangereuse d’où des obligations, des interdits spécifiques pesant sur elles, justifiant son exclusion des lieux du pouvoir religieux. Ce sont les hommes qui, au long des siècles, ont eu la charge des rituels et célébrations, de la conduite des prières, des prêches, de l’administration des sacrements et de la manipulation des objets sacrés. Ajouté à cela l’idée de l’impureté attachée au corps féminin, thématique très présente dans les traditions biblique et musulmane. Cette représentation des femmes comme des êtres “impurs” est partagée par nombre de sociétés traditionnelles.
La codification des rôles assignés aux femmes a été soigneusement élaborée et, hiérarchiquement différenciés dans les textes fondateurs des monothéismes. La démarche est d’autant plus pernicieuse que les auteurs exhibent, tour à tour, la notion de ‘idéalisation de la femme’ (تكريم المرأة), sous prétexte qu’elle est porteuse et transmetteuse de valeurs. Cette idéalisation dans le discours fonctionne comme une compensation à l’infériorité du statut qui lui est assigné. La femme est même d’autant plus exemplarisée dans le discours qu’elle est marginalisée dans la pratique et les responsabilités. Aussi, la stigmatisation de la femme par le mythe du péché originel qui la rend l’archétype de la figure coupable et pécheresse. La femme est ainsi prise dans un discours religieux qui tout à la fois la survalorise et la discrimine. Telle est l’ambivalence de sa représentation.
Et pourtant, du côté biblique, des matriarches, telles que, Sarah, Rebecca, Rachel et Léa et autres prophétesses ont bel et bien existé, et ce dès l’époque des patriarches, telles que Myriam, sœur d’Aaron , Déborah, Ḫulda, Ḥannah et Ester. En Arabie préislamique, des femmes semblent avoir exercé, en héritage, le sacerdoce, avec des titres bien précis, l’art de la guerre, chefferie tribale, la poésie, telle que Tumadhir al Ḫansa
On s’est longtemps accordé à attribuer les sphères public/privé selon des schémas bien établis reposant sur des rôles féminin/masculin : la sphère publique aux hommes, la sphère privée aux femmes. Cette opposition a pour coralliaire une autre différenciation, non négligeable qui est celle de l’intérieur/extérieur. À cela, on peut ajouter la double discrimination basée sur la biologie et l’âge des femmes : enfance, puberté, adulte (fécondité) et la ménopause.
Or, le champ du privé est très peu exploré, faute de sources ; d’autant plus que ces sources sont écrites par des hommes avec des représentations masculines. Inlassablement, les hommes de lettres tissent la même toile qui, sous des couleurs différentes, représente le sexe féminin, inférieur, incomplet, mutilé, coupable. Sujet déchu, victime de sa nature, rationnellement et donc raisonnablement dominé par l’homme. En effet, l’image la plus répandue de la situation des femmes dans les sociétés de l’antiquité, c’est celle d’un groupe exclu de la vie politique et culturelle de la cité et enfermé dans les maisonnées. Mais nous savons d’après les quelques sources éparses des indications sur les coutumes usitées par les femmes, souvent privées de droits politiques, jouissaient d’une position assez importante dans la vie de famille, dans la vie religieuse et ont même atteint une certaine indépendance économique.
Aussi, l’existence des associations de femmes, dont l’origine était très ancienne dans la Grèce archaïque. À côté des associations d’hommes et d’adolescents, il y avait des cercles de femmes à caractère religieux, liés surtout aux cultes agraires. Nous savons peu de choses de ces cercles, excepté celui de Sapho mais ils ont survécu et nous en trouvons à l’époque classique à Sparte. Ainsi, pour les Panathénées, ce sont elles qui préparent le péplos pour la déesse et qui le portent dans la procession solennelle. Les jeunes filles prenaient part à la procession en portant les paniers sacrés. De même, les femmes participent d’une façon bien active aux rites d’initiation aux mystères d’Eleusis, les cultes d’Artémis, de Diane ou d’Ishtar.
À Rome, la participation des femmes à la vie cultuelle, comparée au monde grec, présente à la fois des ressemblances et des différences. Les femmes participaient aux rites communs, mais elles ont, par ailleurs des rites strictement réservés à elles en privé, comme le culte de Bona Dea. Elles avaient aussi leurs propres salons littéraires, ce qui signifie qu’elles étaient érudites et lettrées. L’impératrice Iulia Domna, la femme de Septime Sévère, jouait un rôle considérable dans la vie politique et culturelle de son temps. Son influence pendant les premières années du règne de Septime Sévère fut très grande. C’était une femme intellectuelle qui s’est intéressée surtout par les problèmes philosophiques et religieux, elle s’est entourée des meilleurs écrivains et philosophes. Parmi ses hôtes figuraient Dion Cassius et Philostrate.
Si les femmes gréco romaines participent, d’une manière spécifique aux cultes, la rareté, des femmes dans le personnel cultuel au Proche-Orient est assez frappante. Dans une zone où différentes pratiques religieuses viennent se croiser, il n’est pas étonnant que les situations soient diverses selon les lieux et les cultes. Le vocabulaire lui-même est mal connu et nos conceptions s’appuient sur des présupposés et une définition figée du rôle et du concept de ‘prêtre’ ou de ‘prêtresse’. La documentation elle-même laisse dans l’ombre une grande partie de la population, et très souvent les femmes. De là vient une grande difficulté pour repérer ces femmes, quand bien même elles auraient exercé des fonctions sacerdotales.
Or, dans le monde punico phénique, les exemples des femmes prêtres sont multiples, en particulier à Carthage: ces femmes sont nommées khnt, féminin de khn, terme pour désigner la prêtrise.
Pour résumer, le statut social des femmes est en étroite relation de leur physiologie. Le corps des femmes est important dans la mesure où il accomplie une tâche ontologique, assurer une descendance, de préférence mâle. D’après cette logique, nous comprenons l’engouement des philosophes et autres médecins, comme Hippocrate au corps féminin.
Les sources se sont surtout intéressés aux femmes et jeunes filles dignitaires ; la vie des femmes simples n’intéressait pas plus que celle des hommes simples et nous en savons très peu de choses. Et comme l’a si bien exprimé l’historien Maurice Sartre : ‘Les femmes deviennent indispensables pour produire des citoyens. Mais c’est comme l’hémophilie : elles transmettent la citoyenneté, elles ne l’attrapent pas’.
Il n’était certes pas question de donner ici une présentation complète du paradigme anthropologique et des problèmes qu’il pose. Deux problèmes épistémologiques se posent alors : d’un côté, une approche matérialiste du genre reposant sur la nature des rapports de pouvoir entre hommes et femmes en rapport avec la division sexuelle du travail, laquelle dévalorise systématique des activités féminines ; la seconde sur la culture et les symboles[54] où les religions sont tenues comme une logique au sein d’un système culturel donné contribuant à cultiver et produire la différenciation sexuelle. L’accès au ‘sacré’, la prêtrise, l’accès aux textes, voire la fabrication des objets sacrés, va relever progressivement et exclusivement des prérogatives des hommes. La séparation entre sacré et profane, comme mécanisme fondateur du fait religieux légitime la distinction sociale entre les femmes et les hommes, comme l’a bien montré Durkheim dans ses travaux. Les femmes, associées au profane, en raison de ‘l’impureté’ qui les frappe ; les hommes au sacré. La femme, de Sumer à Rome, d l’Arabie à la Grèce, est culturellement conçue comme ‘autre’, assimilée aux limites du groupe, dont elle est tantôt une menace, tantôt la gardienne des traditions. Elle est souvent confinée, sauf exception (selon condition socioculturelle) à un rôle de procréation et de transmission de traditions. Des traditions qu’elles observent mais ne contrôlent pas, excepté les affaires domestiques ou les rituels alimentaires. MAIS, en dépit du caractère oppresseur des institutions sociales et religieuses, l’espace privé demeure un lieu de résistance et de contestations féminines où le pouvoir religieux (rites de pureté, rites de passage, fécondité, etc) peut être lu comme un lieu de refuge et de solidarité féminine. Les sociétés égyptiennes, spartiate ou nabatéenne échappent à ces différenciations et sont parvenues à casser, par là les lignages patrilitaires, au grand dam des conservateurs de l’époque.
Depuis le XIXème siècle, la sécularisation de certaines sociétés occidentales a d’abord concerné les hommes tout en octroyant certaines responsabilités religieuses des femmes (associations caritatives, chrétiennes, etc), sans leur donner pour autant accès à l’autorité religieuse. L’ordination, en nombre des femmes au sacerdoce ne s’est fait qu’à partir de 1960 avec l’ordination des femmes dans les Eglises réformées et luthériennes, mettent ainsi fin à la tradition d’une prêtrise exclusivement masculin. L’ordination des femmes dans l’Eglise catholique est toujours un sujet de refus et de controverse.
De nos jours, le combat pour l’égalité est toujours de règle. Rappelons-nous la polémique en France, en 2014 autour l’ABCD de l’égalité et la théorie du genre dans les écoles : boycott des écoles, manifestations dans les rues et agitations médiatiques de tout genre par des militants anti- genre. Même le Pape François y a mis son grain, en 2016 en accusant ‘une colonisation idéologique’.
Les chercheurs et chercheures qui attachent actuellement de l’importance et éprouvent un engouement pour le genre comme démarche scientifique vont permettre de lever les obstacles épistémologiques que sont les présupposés liés au genre et ceux relatif à la fausse neutralité des espaces. On est loin, en effet, de l’idée de la neutralité de l’espace, et ce grâce aux nombreux travaux qui montrent notamment une spatialisation des classes sociales, portant inconsciemment les stéréotypes de genre. Les pratiques sociales dans des espaces spécifiés portent des signes de la diversité des expériences des acteurs qui s’inscrivent toujours dans une imbrication de rapports sociaux, genre, milieux sociaux, générations, ethno-cultures, etc.
Saloua Ghrissa
Universitaire-chercheure